Ballades, cinéma du réel 2015

 

De la rétrospective Haskell Wexler, sur laquelle Débordements aura l’occasion de revenir, nous n’avons eu pour notre part l’occasion de voir qu’Underground. Réalisé en 1976, il agite tous les hochets notionnels du marxisme le plus essoufflé, dans une mise en scène peinant à raccorder les images d’un sous-sol où discourent cinq militants et les archives des grands mouvements pour les droits civiques : illustration, dont on ne sait trop si elle est volontaire ou non, des impasses de tous les propos sur la liaison de la théorie et de la pratique, des intellectuels et des masses, division fondamentale du marxisme transcrite en l’autre division, à terme pénible, de l’image et de la voix-off. S’il est compréhensible que notre temps, endeuillé par l’impuissance à laquelle le voue un libéralisme triomphant, regarde avec mélancolie ces images frappées du sceau de l’espérance révolutionnaire, on ne peut que s’inquiéter d’un certain fétichisme à l’égard d’une batterie conceptuelle qui n’a plus lieu d’être. Une même indécision du regard faisait une part de l’ambiguïté du beau film de Jean-Gabriel Périot, Une jeunesse allemande. Montage d’archives portant sur la Rote Armee Fraktion, divisé en deux périodes – l’avant, quand la jeune génération grondait contre son aînée passée par les années noires, quand Ulrike Meinhof visitait les plateaux télé et que Holger Meins réalisait des films ; l’après, quand ces deux-là, aux côtés d’autres, prirent les armes pour succomber à l’appel de l’action violente –, le film est d’une grande richesse iconographique. La première partie surtout, attentive à des événements moins fameux, tissée dans des archives rares (les films de Holger Meins, fascinants), quand la seconde, faite essentiellement à partir d’images télévisuelles où les zélateurs de l’état des choses vilipendent les enragés, emporte moins le spectateur. Magnifique travail de recherche, auquel il manque peut-être un regard plus appuyé, une dialectisation des images, un positionnement par le montage : non qu’il soit exigé de Périot qu’il prenne parti – il semble faire vœu d’objectivité –, mais le montage, de se vouloir seulement anthologique, manque parfois de dynamisme, de perspective. Nul réel point de vue n’est aménagé, ce qui, à terme, gêne, tant on a l’impression que ce silence de la vision trouve sa source dans une fascination qui ne s’avoue pas pour un groupe qui, d’une certaine façon, a résumé les apories d’un certain activisme faisant de la violence la raison de toute chose. La neutralité supposée du regard masque cela, l’origine de ce désir d’un film sur la RAF, la manière aussi dont cet imaginaire travaille encore, ou non, notre époque. Pourquoi revenir sur l’épopée la plus problématique du gauchisme moderne ? C’est cette question que le film laisse en suspens, quand elle est celle qui devrait diriger la réflexion politique de notre époque – liquider l’héritage, dire adieu aux charmes ambivalents de l’action armée, est peut-être la tâche de cette dernière.

 

par Gabriel Bortzmeyer
Débordements
1er avril 2015
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